20.30h
jeudi soir, théâtre du Casino Barrière à Lille.
La
foule emmitouflée se presse, trace vers le 1er étage et sa salle de concert
flambant neuf, bien en avance sur le beau bizarre pour qui ce début de soirée
n’est pas très loin du réveil… Décalé depuis toujours, bel oiseau de nuit
pâle que la crudité du jour semble effrayer.
Pas
grave, on l’attend, on est dans la place au chaud, bien heureux d’avoir échappé
aux flocons et au manteau blanc neigeux qu’on retrouvera plus tard, au retour.
Quelques
regards furtifs, à droite à gauche, sur les arrivants qui lentement emplissent
la grande salle un peu froide. Ma fille de 20 ans m’accompagne pour ce
baptême qui me fait me souvenir d’un autre, Bashungien, sur la tournée
Bleu Pétrole. C’était hier, à peine, comme une éternité désormais,
presqu' irréel.
Beaucoup
de personnes âgées, c’est ce qui me frappe. Rapide calcul, normal en fait. Quel
âge a-t-il ? Probablement celui de ma mère. Moi je suis entre les deux,
entre les mamies à mise en plis et les jeunettes Ipodées qui chaperonnent
les quelques quadras de la salle.
Je
me remémore la tournée précédente, il y a un an, quand au Sébastopol, murée dans un chagrin d’une infinie violence j’étais allée découvrir ses
mots bleus en live. C’était la première fois, convertie à son univers depuis
peu en fait, 2001, soit deux albums et 3 ou 4 vieux titres.
Il
finit par arriver et s’installe au piano, sitôt rejoint par deux jeunes musiciens.
Un guitariste virtuose qu’il nous présentera par la suite, Christophe VAN
HUFFEL, tour à tour enchanteur et magicien, manipulant l’archet sur
son instrument pour le métamorphoser en violoncelle… du jamais vu. Habité,
simplement. C’est le mot qui me vient à l’esprit. Le public l’acclamera à
plusieurs reprises dans la soirée.
Pascal
CHARPENTIER au piano, est plus discret. C’est celui qui égare et mélange (un
peu) les partitions des vieux titres au moment du medley final. Charmant en
tout cas.
Ces
deux là sont des proches. Ils ont bossé sur le dernier album et expérimentent
avec l’apprenti sorcier des sonorités inédites pour le prochain annoncé
pour septembre 2011.
Autant
le dire tout de suite, j’ai eu des craintes et ça partait mal…
Les
mamies qui crient Aline à chaque intro je me disais que ça n’allait pas le
faire. Comme je suis une fille polie et que je n’ai jamais insulté une
grand-mère, j’ai gardé le cap, concentrée, même quand la voisine de ma grande
fille a commencé à piétiner son sac par terre avant de shooter dedans
sans esquisser un début d’excuse. Même quand elle s’est mise à déborder
tellement de son siège qu’elle a fini pratiquement sur les cuisses de ma
petite, délicate et charmante au demeurant, qui, se réfugiant contre sa maman a
tout de même déclaré haut et fort ‘qu’est ce que tu sens bon maman, c’est
pas le cas de tout le monde’. Je concède qu’il s’agit là d’une déclaration bien
peu chrétienne mais il faut ajouter, à sa décharge, que la petite dame n’avait
pas sucé que de la glace.
Allez
merde, un concert de Christophe, ça se mérite. Lui-même carburant au Jack
Daniels sur scène mais à notre santé… comment lui en vouloir ?
Une
fois passées les indélicatesses, le hors sujet des requêtes soixantenaires que
seule Aline, la Gaby de Christophe semble pouvoir apaiser, la
soirée a été magnifique.
Ce
spectacle est l’épure de celui de l’an dernier. Allégé de toute mise en scène,
il a gagné en profondeur. Un tabouret, deux musiciens, une icône dont je me
suis dit que décidément, le rock conservait merveilleusement ses adeptes.
Pantalon et veste de cuir, bottes, profil apache. Décidément celui-là survolait
les années sans les additionner au compteur.
Il
a pris de l’épaisseur, de l’assurance. La fragilité qu’il exposait l’an dernier
a disparu. Il parle, raconte, s’inquiète de faire plaisir. Il est devenu
chaleureux, s’attardant longtemps après le spectacle, très ému. Saluant,
serrant des mains, pas pressé de partir. Honnête et en paix avec lui-même, bien
planté dans ses bottes pour un bout de temps encore, rassurant.
Inutile
de vous dire comment il m’a embarquée, cueillie puis déposée où les fleurs
poétisent, vous savez. Ses mots bleus ne m’ont pas fait pleurer, j’ai grandi,
je grandis (je l'ai déjà dit je sais)…
Enfin
le moment tant attendu arrive. Il l'amène en douceur au début de la seconde
partie du spectacle, après le rituel de la pause havane, quand il se met à
parler doucement, comme à lui-même, quand il dit : ‘Je pense souvent à
lui’. Là j’enchaine mentalement en lui répondant ‘moi aussi, pas un jour
sans’. La lumière se fait rose et il raconte leurs déjeuners, le manque.
Il dit qu’il était son ami, quelqu’un crie ‘le nôtre aussi’. Il dit ‘oui, je
sais’, et commence : ‘Si tu veux j’peux t’aider….’
C’est
beau. La voix est parfaite, bien placée. Je n’ai pas voulu écouter les versions
du net, je découvre donc le cœur serré. La salle est conquise. Les mamies-aline
l’ont bouclée, tant mieux pour elles. J’chuis pas cruelle, juste violente… Il
fut un temps où je ne supportais pas sa voix. A t'elle changé ? A t'il changé ?
à moins que ce ne soit moi.
A
quand un live de cette tournée ? Les arrangements des titres anciens sont
à tomber, même Senorita m’a entraînée dans le tourbillon de sa robe de
taffetas.
Il
ne semblait pas pressé de partir,
Nous
non plus.
5 commentaires:
Ton récit est magnifique Dragonfly, et [me] donne envie de sauter le pas et aller assister à l'un de ses concerts. Merci de faire vivre avec une telle netteté le concert et la rencontre avec cet artiste rare et son univers. "Il était mon ami, le nôtre aussi, je sais". Pour cela, oui, bien sur, mais aussi pour tout le reste, le dit et le non et l'instant magique, celui de ses mots bleus qu'on ne dit qu'avec les yeux ou dans la simple rencontre d'un artiste et de son public, à Sousse, à Paris, à New York ou à New Delhi.
Oui, c’est vrai, tu as bien su recréer l’atmosphère de cette soirée, Dragonfly, et ça me donne bien envie de réessayer d’y entrer dans le monde de ce beau bizarre en laissant mes a priori au vestiaire.
Total respect en tout cas pour cet artiste et pour son interprétation d’Alcaline en hommage à l’ami qui lui manque.
"t’aimes plus les mots roses que je t’écris ?"...
Un grand merci à vous.
Le rose c'est aux joues qu'il me monte à force de compliments...
J'espère pouvoir vous faire franchir le pas, celui des a-priori, le plus difficile à franchir sans doute, un jour. J'ai mis du temps moi aussi, et puis ça c'est fait sur 'Comme un interdit' en 2001, un matin à la radio. Je l'ai 'entendu' pour la première fois, il m'a émue.
Deux concerts depuis m'ont confortée dans le sentiment d'authenticité que j'avais perçu chez lui.
Oubliés le smoking blanc, le piège à filles, les coups de fil navrants à la princesse...
Il chante 'Je l'ai pas touchée', mais je peux vous assurer qu'il ment.
'Magda' ici... et puis Christophe Van Huffel en solo, guitariste prodige, n'ayons pas peur des mots :
http://www.youtube.com/watch?v=6T9f_1O8OvE
Non, n'ayons surtout pas peur des mots...
Merci pour ce voyage chez Magda qu'il est si triste de quitter, la mélodie est très belle et j'entends bien les sanglots de la guitare.
PS: dommage que les liens ne fonctionnent pas dans les commentaires, mais je ne désespère pas de trouver une solution avec Blogger... Pour l'instant, le copier-coller, lui, fonctionne bien, heureusement !
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