Fondu enchaîné sur la Baie de Lausanne
Pour un pélican combien de frangipanes ?
Fin de la parenthèse enchantée et des coucous de contrebande et retour sur l'hommage rendu le vendredi 17 septembre par les "helvètes underground" à Alain Bashung, à la salle Métropole de Lausanne, dans le cadre des festivités de Label Suisse 2010.
Bien sur, des hommages à Alain Bashung, il y en a eu, il y en a et il y en aura, pour des raisons multiples et variées, bonnes et mauvaises, des hommages marqués par l'émotion et l'enthousiasme, et le plus souvent la (bonne) volonté de s'inscrire dans ce courant à la croisée de la recherche sur les textes et la musique et de transmettre. Ce ne sera que justice au regard de l'œuvre monumentale et de l'originalité du processus créatif de Bashung.
Mais si je dois me souvenir de cette incroyable soirée du 17 septembre, je crois que je préfèrerai à la notion d'hommage la formule de Jean Fauque sur "l'adieu au Mage" au détour d'une évocation d'Alain l'alchimiste, capable de mettre sens dessous les studios ICP de Bruxelles en quête de son Imprudence. Car de potions, de grimoires et de magie, il n'aura finalement pas été question d'autre chose durant ces 115 minutes d'éternité conduites avec « force et tendresse » par Gérard Suter. L'homme des ondes romandes confessait d’ailleurs en fin de soirée, heureux et visiblement ému achever avec cette soirée un voyage initiatique entrepris avec son complice David Golan « night and day » durant 4 à 5 mois dans l'univers artistique de Bashung.
Ici et là, durant l'après midi de "veillée d'armes" avant la soirée, quelques bribes de discussion entre musiciens et techniciens s'affairant en vue de la soirée, notamment ce : "Ah, parce que tu crois qu'il est mort Bashung, toi ? Et ben non...". Pas très étonnée de la teneur de l'interview de Rodolphe Burger, aura aussi puissante que discrète, s’expliquant à demi-mot sur ses refus successifs de participer à des manifestations en hommage à Bashung. "Mais là" concédait t'il dans un murmure, "ce n'est pas (tout à fait ?) pareil...". Tu vois ce convoi qui s'ébranle, non ?...
Chorégraphie d'installation du plateau, ballet silencieux ou presque des techniciens et musiciens, regards échangés, sourires complices, inquiétudes, réglages, balance, et arrivée progressive des artistes. Un peu de retard pris, rien de grave, regard aussi bienveillant que vigilant du Maître de cérémonie et des magiciens, pardon, des musiciens, des Mobile in Motion, les deux skippers hors pair de l’aventure, parés pour l'embarquement nocturne.
Derrière le rideau virtuel de la scène Métropole, l'après-midi avançait sans star ni cador, la fluidité des mouvements et la simplicité des participants reste de mise, contrastant avec le professionnalisme des acteurs au service du projet.
Et puis tout d’un coup le silence qui précède le début du filage, et pour les petites souris présentes dans la salle, le vrai miracle de la décou-verte d'interprètes connus ou non posant tour à tour leur voix sur les arrangements de Christophe Calpini et Fred Achadourian. Ca le fait et on sait à partir de là que la soirée fera date, par la profondeur de la recherche musicale comme par l'audace toute en maitrise des orchestrations des Mobile in Motion et la généreuse complicité qu'ils nouent avec la palette d'artistes venue librement poser leur touche personnelle sur les titres choisis dans le répertoire bashungien. Tout est si calme ce soir, puis-je être ému (e) ?
Les morceaux retenus naviguent avec aisance dans les décennies de Bashung. En dehors des albums de jeunesse, seuls Chatterton et Bleu Pétrole manquent à l’appel. S’égrènent en revanche les emprunts presque toujours heureux à Roulette russe, Pizza, Play Blessures, Passé le Rio Grande, Novice, Osez Joséphine, Fantaisie militaire et l’Imprudence, Fantaisie militaire restant une source majeure d’inspiration pour les musiciens et interprètes de la soirée des Helvètes underground.
Tout est prêt pour que le résultat soit à la hauteur des espérances des organisateurs et bien au delà, le point commun de l’ensemble des participants, semblant être, sous l’étoile de Vénus, le respect de l’œuvre et la totale liberté d’interprétation. 19h05, la soirée peut débuter dans l’enthousiasme très contagieux d’une salle désormais bondée.
La magie opère d’emblée, malgré le trac patent du début de cette première. Se succèdent sur scène et au micro du producteur, accompagnés par Christophe Calpini, Fred Hadchadourian, Alberto Malo, Laurent Poget et Christophe Chambet : Franco Casagrande (Helvète underground), Franz Treichler (Aucun express, Mes prisons), Franz Treichler et Pascal Auberson pour le seul duo de la soirée sur Volontaire, Pascal Auberson (Osez Joséphine, Dehors), Rodolphe Burger (Samuel Hall), Olivia Pédroli (By Proxy), Boris Bergman (Gaby en VO non sous- titrée, Elsass Blues, Station service), Polar (Volutes, Madame rêve avec Eric Truffaz à la trompette), Oy (Malaxe, Noir de monde), et enfin Jean Fauque, le frère et ami, qui clôt cette soirée si inspirée par un talk over sur Mes bras et La nuit je mens… « où subsiste encore ton écho, ad lib… »
18 titres pour une soirée absolument hors norme, d’un niveau de précision et de recherche musicale absolu, d’une finesse d’interprétation et d'énergie incroyable, capable de réconcilier les plus réticents et les plus puristes des aficionados avec la perspective d’un Tribute. Un petit mot encore sur deux (trois) artistes dont les interprétations m'ont laissée sans voix et dont les échos me poursuivent encore. D'une part, le duo formé par Pascal Auberson et Franz Triechler sur Volontaire, époustouflant de force et d'énergie pure, dans un duo fonctionnant en totale complicité.
Le making of de la soirée, sur TSR, permet d'ailleurs de découvrir les deux artistes répétant et calant le morceau, éclairant au passage le travail préparatoire nécessaire pour que les interprètes puissent trouver leurs marques sur les textes d'Alain Bashung et les audacieuses orchestrations des Mobile in motion.
Au delà, comme ensuite pour Oy sur Malaxe et Noir de monde, j'ai été stupéfaite par l'intensité renouvelée que ces morceaux prenaient dans leur bouche. Le cri "Volontaire" de P. Auberson, le "Malaxe" et le "Noir(e) de monde de Oy étaient pour moi totalement bouleversants.
L’adieu au Mage s’achève dans une ferveur qui rappelle à en pleurer les concerts de la tournée bleue pétrole. Il s’est passé « quelque chose » et derrière les traits fatigués et heureux, on sait bien que chacun l’a bien perçu. Alors voilà, c’est fini, faites de beaux rêves… On se sépare forcément un peu hagards sous la bannière étoilée des cieux de Lausanne, bizarrement habités par une douce énergie, prêts à chalouper entre les groupes musicaux qui jouent sur les scènes extérieures de la manifestation Label Suisse. Il fait doux, Gotan Project joue devant un public conquis. Tendre est la nuit et on est heureux, tout simplement heureux… On se dit qu’il ne faudra pas garder tout cela pour soi et raconter, même si les sensations et l’émotion sont nécessairement irréductibles au récit, et surtout ne pas oublier de finir en rappelant que l’Usine à Gaz de Nyon ouvre samedi 25 septembre au soir ses portes à ce concert tout à fait exceptionnel, qui justifierait l'enregistrement live, "pour que les trous de mémoire ne tombent pas dans l'oubli".
EQNDx
Corinne